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Je peux regarder avec toi ?

Je peux regarder avec toi ? (Extrait)

Je préfère le train à la voiture, surtout pour les longs trajets. Je me laisse conduire, je regarde le paysage, je lis, je somnole, je fais mon courrier, je sais aussi très bien me contenter de rêvasser. L’autre jour, je profitais d’un voyage, par la magie de l’ordinateur un film d’animation d’une rare poésie : « le roi et l’oiseau », de Paul Grimault sur un texte de Jacques Prévert.
Un petit bonhomme de cinq ou six ans s’approche de moi, me dit timidement : « je peux regarder avec toi ? ». Sa mère fait des gros yeux : « laisse le monsieur tranquille »… Je rassure la maman. Puisque la place est libre à côté de moi, je l’invite à prendre place et nous regardons ensemble. Un bon quart d’heure après l’enfant s’endort sur mon épaule…
Je suis touché par l’audace de ce petit garçon qui a osé, en se jouant des conventions, demander quelque chose. Il est venu vers moi sur la pointe des pieds, bravant sans gêne les usages convenus.
Comme il est difficile d’être simple, et d’oser demander quelque chose à quelqu’un !
Dieu sait pourtant que nous sommes prêts à faire beaucoup de choses pour rendre des services. L’entraide semble être inscrite dans nos comportements dès notre plus jeune âge. Je me souviens, tout petit que j’étais, avoir été prêt à faire mille efforts pour apporter de l’aide à ceux qui en avaient besoin, « met plezier * » comme disent nos voisins belges…
Mais demander, voilà tout autre chose !… On nous a tellement dit qu’il ne « faut » pas déranger, qu’il « faut » apprendre à se débrouiller seul, par crainte peut-être d’être redevable et parce qu’après tout, on ne peut bien compter que sur soi-même. Ne pas demander parce que l’autre verrait en nous alors quelqu’un de faible et vulnérable…
Ce n’est pas très humain.
Jésus ne craignait pas de demander de l’aide : « donne-moi à boire » disait-il à une femme étrangère avec qui – en principe – il n’avait pas à parler. « J’ai soif », cria-t-il au soldat qui montait la garde au pied de la croix. « Suis-moi », « je viens souper chez toi » disait-il également à des hommes et des femmes qui avaient croisé sa route… Sans chercher à en tirer quelque leçon morale, j’aime voir Celui que je reconnais comme maitre d’humanité demander à d’autres de mieux l’aider à vivre…
Être humain, c’est toujours faire alliance, entrer dans une rencontre. Oser demander nous fait entrer dans l’essentiel de la vie qui est d’être en relation. Oser demander, c’est décider de sortir des illusions qu’on se fait sur soi-même et devenir ce que nous sommes en vérité, des êtres interdépendants… L’audace débouche alors sur des échanges qui renforcent les liens : « Je te demande, tu m’aides, et demain je serai là pour toi si tu as besoin ». Demander, c’est faire exister l’autre…
C’est la rentrée. Elle va être, pour mille raisons, difficile pour bien des gens. C’est peut-être le moment favorable pour reconnaître que nous avancerons ensemble et seulement ensemble, pour oser nous faire signe, nous demander de l’aide et en offrir à d’autres… Oser demander quelque chose à quelqu’un, c’est croire que l’autre veillera un tant soit peu sur nous, d’une manière ou d’une autre. Et c’est sans doute pour ça que le petit bonhomme du train n’a pas craint de s’endormir : seul celui qui ose demander peut s’endormir en paix…

Raphaël Buyse

(*) Avec plaisir

http://raphaelbuyse.wordpress.com.

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